Analyses

The Logistics and Geo-politics of ‘Connectivity Diplomacy’

La Fondation SEFACIL a eu le privilège de co-organiser un colloque international à la prestigieuse Jawaharlal Nehru University de Delhi les 17 et 18 octobre 2024

Quelle expérience que de cotoyer plus de 50 experts en provenance d'Inde, de tous les pays enclavés d'Asie Centrale, d'Extrême-Orient et d'Europe pour débattre des effets des connectivités (logistiques) sur la diplomatie eurasiatique! Se retrouver dans le Center for Russian & Central Asia Studies School of International Studies de la Jawaharlal Nehru University constitue pour le réseau de la Fondation SEFACIL une forme d'aboutissement scientifique et académique. Dans l'attente de l'édition de l'ouvrage collectif qui réunira plus de 40 papiers, quelques idées partagées sur les enjeux portuaires stratégiques dans la périphérie diplomatique de l'Inde

Les ports comme noeuds géostratégiques eurasiatiques

De la Méditerranée et à la Mer d’Arabie, les turbulences géopolitiques mondiales stimulent le couple logistique et diplomatie. Chine, Russie, Inde, Iran, Union européenne, Etats de la Péninsule Arabique, Etats-Unis d’Amérique : aucune nation n’est exclue du grand jeu géopolitique et géostratégique eurasiatique. Pour les Etats enclavés de l’Asie Centrale, les corridors demeurent toujours un peu plus des artères vitales de connectivités. Les terminaisons portuaires, depuis l’Inde jusqu’en Europe Méditerranéenne, reçoivent une attention politique et économique très particulière avec les tensions ukrainiennes, palestiniennes, iraniennes ou encore yéménites. La présente contribution vise à mettre en perspective les nouvelles concurrences politiques et commerciales qui animent des interfaces portuaires qui n’ont jamais été autant des portes qui peuvent s’ouvrir mais aussi se fermer. 

The main components of the India-Middle East-Europe Economic Corridor
Permacrise mondiale et turbulences maritimes

La crise géopolitique contemporaine met en perspective l’importance cruciale des isthmes, canaux et détroits dans les circulations maritimes internationales. Notre économie-monde repose sur une globalisation marchande qui elle-même n’est que le fruit d’une organisation géographique des productions rendue possible par les hyper-connectivités maritimes. Depuis la crise pandémique de la COVID-19, nos sociétés modernes ont saisi leurs dépendances et compris leurs interdépendance sur l’autel d’une logistique devenue une science inexacte aux effets directs et indirects insoupçonnés. Les consommateurs mondiaux, ou tout du moins ceux vivant dans des économies extraverties reposant sur les fiabilités des services maritimes, ont découvert combien la dépendance manufacturière et industrielle avec la Chine pouvait être critique. Des consommateurs plutôt africains et méditerranéens, ont subi directement les affres d’approvisionnements en produits céréaliers de première nécessité devenus outils de guerre et chantage avec l’exacerbation du conflit en terres ukrainiennes. Le monde entier continue de s’interroger sur les conséquences à long terme des attaques guerrières des rebelles Houthis sur les navires de commerce qui empruntent le Golfe d’Aden et le Canal de Suez. Ces agressions n’étant que le fruit d’une solidarité idéologique à l’égard du peuple palestinien suite aux réactions israéliennes après les attentats du 7 octobre 2024, cela ne fait que rappeler combien logistique maritime et géopolitique mondiale sont inter reliées. D’ailleurs, Israël a détruit partiellement le port stratégique d’Hodeïda en juillet 2024 après le lancement d’un drone par les rebelles Houthis, considérant cette infrastructure  essentielle à l’importation de produits pétroliers et d’aide humanitaire pour le Yémen comme une porte d’entrée et d’approvisionnement pour l’acheminement d’armes iraniennes.

Port de Gwadar : pion géostratégique majeur de la Chine au Pakistan

Sous forme de réflexions ouvertes, cette contribution vise à mettre en perspective les rôles potentiels des principales entités portuaires qui s’égrènent depuis les rives indiennes de la Mer d’Arabie au pourtour méditerranéen européen. Cela permet de discuter des enjeux géopolitiques et géostratégiques qui animent de nouvelles concurrences portuaires et logistiques. Plusieurs considérations prospectives et stratégiques visent à ouvrir le débat sur les potentialités logistiques qui pourraient s’offrir aux pays enclavés de l’Asie Centrale, notamment avec le renforcement portuaire de la Péninsule arabique comme carrefour de nouveaux corridors de transport.

Port of Duqm in the Sultanate of Oman: a new geostrategic point in the Persian Gulf for serving landlocked Asian Countries
Les ports sont des portes qui s'ouvrent... et se ferment au gré des incidences politiques et des intérêts géostratégiques

Les ports constituent en quelque sorte l’expression infrastructurelle d’opportunités géopolitiques qui concrétisent les accords géostratégiques entre intérêts souverains. Gwadar et Chabahar manifestent chacun à leur manière les temporalités qui associent d’une part la Chine et le Pakistan alors que d’autre part se nouent des relations partenariales entre l’Inde, l’Iran et accessoirement l’Afghanistan enclavée, satisfaite de disposer d’une alternative aux solutions portuaires et logistiques pakistanaises. Quant à l’IMEC, il élargit le spectre géographique et temporel en projetant une artère commerciale qui connecte Europe et Inde via les intérêts du Golfe Persique. Si l’on ajoute les ambitions russes, notamment sur les ports partenaires de la Caspienne, il se dessine une géopolitique portuaire ambivalente, qui ouvre mais aussi resserre les capacités de connectivités des socio-économies enclavées d’Asie Centrale.

A l’instar du Kazakhstan mais aussi de l’Ouzbékistan, il se joue un équilibre subtil entre la préservation de souveraineté nationale et les exigences souvent économico-financières de soutiens bilatéraux de la part de « grands frères historiques et stratégiques ». Moscou et Pékin bien sûr, et dans une moindre magnitude Mumbai, Bruxelles ou même Karachi et même Téhéran cherchent à orienter les flux au profit de terminaux portuaires dans lesquels ils sont activement (ou passivement) impliqués. De Mumbai à Marseille, d’Istanbul à Chittagong, c’est une certaine vision du monde maritime et portuaire qui se décide, dans l’optique ultime de sécuriser les approvisionnements énergétiques et stratégiques globaux. Les influences commerciales, politiques et idéologiques s’interpénètrent pour faire mais aussi défaire des corridors de transport multimodaux. La résurgence du corridor du milieu dans le but de contourner le territoire russe et les sanctions internationales en est une illustration éclairante (Lasserre et A, 2024). Le rôle de l’Iran dans les activismes idéologiques du Moyen-orient en est une autre manifestation aux effets maritimes et portuaires indéniables.

Vue satellite d'une partie des installations portuaires chinoises
du complexe de Doraleh à Djibouti

Les Etats enclavés du Kazakhstan et du Turkménistan, mais aussi du pourtour caspien comme l’Azerbaïdjan et l’Iran tirent profit de cette « opportunité géopolitique » issue du conflit ukrainien et de la posture unilatérale de la Russie face aux sanctions occidentales. Cet exemple, exploité notamment de manière aussi opportune qu’ambivalente par Ankara, permet de valoriser l’attractivité des ports turcs dans un souci de préservation des connectivités logistiques avec des territoires aux héritages linguistiques et identitaires proches. Il permet de considérer aussi des alternatives comme le projet IMEC qui projette une nouvelle conception du monde avec un corridor qui conteste une vision où toutes les routes énergétiques planétaires pourraient mener à Beijing pour paraphraser une célèbre citation à l’égard de Rome et de l’Empire Romain.

Le temps long de la diplomatie et celui nettement plus court de la logistique se conjuguent pour que les circulations de matières et de biens soient garanties et surtout optimisées vers et depuis l’Asie Centrale enclavée. Le cas emblématique des ressources naturelles en uranium du Kazakhstan et dans une moindre mesure de l’Ouzbékistan demeure symptomatique de ces concurrences multidimensionnelles. De la visite présidentielle française au Kazakhstan en 2023 aux JV avec les entreprises chinoises et les pressions russes sur les contrats d’approvisionnement, l’organisation des expéditions dépend en grande partie de la garantie de de disposer de réseaux de transport fiables et efficaces qui véhiculent les volumes vers les marchés finaux de transformation/consommation. Les corridors ferroviaires et leurs indispensables terminaisons portuaires constituent des « assets stratégiques vitaux » qui matérialisent des relations d’interdépendances entre logistique et diplomatie. L’exemple uranifère n’est qu’une illustration dans un monde marchand libéral où les sécurisations énergétiques de demain se co-construisent aujourd’hui dans le prisme des intérêts économiques/financiers souvent privés et des ambitions souveraines et régaliennes des Etats.

Le Golfe Persique ne s’y trompe pas dans une géopolitique habile qui conjugue diplomatie et logistique. L’IMEC constitue une pièce centrale d’un immense puzzle où les intérêts des Etats du Golfe,, souvent en concurrence directe, investissent dans d’immenses complexes portuaires. DP World demeure un modèle en la matière, ayant fait de Jebel Ali un centre de transbordement conteneurisé et une place d’intégration de services logistiques entre l’Europe et l’Asie. Oman, l’Arabie Saoudite, ou encore Abu Dhabi considèrent le déploiement de nouveaux ports, sur leur propre territoire mais aussi à l’international dans une perspective géostratégique semblable.

My sincere thanks to the panelists and experts

Amitabh Mattoo, Amb. Ajay Bisaria Dr. Rajan Kumar Prof. Ajay Patnaik Prof. Gulshan Sachdeva Coline Seigneur
Prof. Sanjay Kumar Pandey Prof. Fatima Kukeyeva Prof. Sanjay K. Bhardwaj Dr. Saniya Nurdavletova Prof. Bhaswati Sarkar Dr. Aida Yerimpasheva
Prof. Jahangir Karami Prof. Parviz Mullojonov Dr. Kairat Bekov Dr.Jildiz Nicharapova Dr. Govind Kumar Inakhiya Dr. Pramod Kumar Dr. Gulnara Baikushikova Dr. Anna Bochkovskaya Dr. Nandini Bhattacharya Dr. Preeti D. Das Dr. Esra LaGro Dr. Rajan Kumar Dr. Anita Sengupta Dr. Aleksei Zakharov Dr. Raj Yadav Prof. Sangita Thapliyal Dr. Zhulduz Baizakova Prof. Sharad K Soni Dr. Asma Kouser Prof. Sameena Hameed Dr. Philippe Gast Dr. Bassant Hassib. And a special final mention to conclude with CRCAS SIS Young Scholars' Session on Eurasian Connectivity with Mr. Harry Singh Mr. Priyanshu Agarwal Mr. Suresh Kumar Ms. Arunima Kalita Ms. Shalini

Qui contrôle les ports contrôle la logistique des territoires enclavés de l'Asie centrale? Réflexions sur les relations entre géopolitique, diplomatie et transport