Analyses

Djibouti: Géostratégie maritime et enjeux portuaires

Djibouti, territoire géostratégique et carrefour commercial, continue une expansion portuaire avec de grands projets d’infrastructures tous situés en dehors des quais historiques au cœur de la capitale. Les installations actuelles du port historique continuent d’accueillir des trafics de vracs secs mais un grand projet de transformation pourrait stopper les activités purement portuaires au profit d’un futur centre d’affaires et d’une possible marina située à proximité du cœur historique de la capitale djiboutienne. La conversion de ces sites industrialo-portuaires s’inscrit dans la stratégie de l’Etat djiboutien de développer les activités portuaires sur des terminaux spécialisés comme à Tadjourah qui doit servir à l’exportation de potasse ou celui de Damerjog où pourrait se combiner trafics d’animaux vivants et futurs installations gazières.

Terminal à conteneurs de Doraleh

Deux ports à Doraleh sous le contrôle des intérêts publics djiboutiens La présidence de Djibouti a lancé depuis quelques années un vaste programme de développement de ses activités portuaires avec une politique somme toute inédite puisque le gouvernement a fait le choix de placer les opérations et le développement des activités aux mains de sociétés publiques où travaillent très majoritairement des professionnels djiboutiennes et djiboutiens. Cette situation portuaire s’avère somme toute intéressante alors même que l’Etat de Djibouti a repris le contrôle opérationnel des activités conteneurisées après la résiliation unilatérale du contrat de concession attribué à DP World pour une période de 30 ans. Ce différend, qui a fait l’objet d’un arbitrage international en 2018 qui a coûté 385 millions à l’Etat djiboutien, n’a pas empêché la création de la Société de Gestion du Terminal à Conteneurs de Doraleh (SGTD). Cette dernière, sous contrôle d’intérêts publics djiboutiens, exploite le kilomètre de linéaire de quai avec 8 portiques post-panamax et les 285 hectares du parc à conteneurs avec 2 RMG et 34 RTG.

Trafic conteneurisé de Doraleh

Le trafic de 2019 approche le record de 2016 avec près de 900,000 EVP manutentionnés, à ceci près que la nature des trafics a changé puisque les trafics de transbordement ont été en grande partie perdue avec le départ de DP World. Cela signifie néanmoins que le marché de 100 millions d’éthiopiens confirme le statut de Djibouti comme véritable porte d’entrée et de sortie pour les importateurs, exportateurs et consommateurs enclavés de l’Ethiopie. La perte du transbordement s’explique notamment par la stratégie des armements réunis en alliances qui disposent dans les ports concurrents régionaux de Djeddah ou de Salalah de solutions alternatives où ils envoient leurs plus grandes unités qui dépassent dorénavant les 20,000 EVP.

Quand deux monopoles publics djiboutiens en cachent un troisième éthiopien

L’Ethiopian Shipping & Logistics Services est une entreprise publique éthiopienne qui conserve rigoureusement le contrôle logistique des transits internationaux entre le port de Djibouti et le marché domestique éthiopien. Malgré les ambitions répétées de sociétés privées à capitaux djiboutiens et internationaux, ce secteur stratégique demeure la chasse gardée d’ESLS. Des échanges entre professionnels de la logistique lors de la deuxième édition du Forum Africain des Ports tenu à Djibouti les 9 et 10 novembre évoquaient des études à venir pour étudier l’ouverture du marché par un assouplissement des lois nationales et des règlements sur la gestion des transits en provenance et à destination de l’Ethiopie.

Chargement de riz à destination du marché éthiopien

Selon les opérateurs installés à Djibouti, cette possible inflexion pourrait avoir trois raisons majeures :

-La première relevait du mécontentement croissant des acteurs économiques face aux surcoûts logistiques et l’absence d’alternatives pour encourager une saine concurrence ; -La deuxième concerne les compagnies maritimes internationales qui souhaiteraient disposer d’un accès direct au marché éthiopien en émettant des connaissements directs ; et,

-La montée en puissance du port commercial polyfonctionnel en eau profonde de Berbera au Somaliland qui a contracté DP World en 2016 pour développer des activités logistico-portuaires qui pourraient véritablement devenir une vraie alternative à Djibouti, notamment grâce aux investissements pour favoriser la connectivité routière avec Addis-Abeba. -

Les troubles intérieurs au nord de l’Ethiopie apportent une vraie inquiétude sur le devenir des activités djiboutiennes, révélant la très grande dépendance entre les deux Etats. D’un côté, le risque de déstabilisation dans la région du Tigré pourrait enrayer la croissance économique remarquable qui faisait de l’Ethiopie un des pays les plus dynamiques parmi les émergents africains. De l’autre, la place portuaire de Djibouti pourrait être « boudée » par les armements, notamment les grandes unités conteneurisées, qui n’auraient plus assez de garanties de volumes, tant dans le sens des importations que des exportations, pour consolider des escales régulières.